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Channel: Regardailleurs » A la louche

Pourquoi un #UNFF pourrait avoir ses bons cotés…

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roi twitter

Loin d’être le rageux de la bande ou le troll de service, je suis plutôt du genre gentil calme qu’il faut pas trop venir emmerder non plus sur la Toile. Il m’arrive donc d’avoir des coups de gueule salvateurs contre des comportements qui m’énervent copieusement. Laissez-moi le plaisir de vous faire partager celui-ci.

Avec plusieurs mois de Twitter à mon actif, je ne suis pas déçu. Loin des séances diapo ou des tentations voyeuristes made in Facebook, je suis tombé sur la mine d’or de l’info. A boire, à manger, t’en veux t’en as. Des journalistes très sympas rencontrés grâce au réseau, des gars du coin eux aussi très sympas, plein de journaux, des assos, etc… Le tout en rang de 140 signes ! On se suit ou on se suit pas selon ses affinités, on retwite mais surtout on (roulement de tambours) dialogue.

Des animaux sociaux comme JCDR ou Samuel Goldschmidt twittent compulsivement, discutent, rapportent, donnent leurs idées et de l’info. Leur réseau grandit en conséquence avec un certain capital sympathie. D’autres, comme Steven Jambot ou Sylvain Lapoix twittent avec plus parcimonie, mais ne snobent personne, et possèdent un rapport suiveurs/suivis assez important. Des géants comme Xavier Ternisien ou Guy Birenbaum ne suivent pas trop de monde mais jouissent (ouh le joli mot de référencement) d’une réputation et d’un humour qui leur permet d’afficher sans forcer plusieurs milliers de followers. Y a d’autres catégories (un petit journalisme LOL entre parenthèses pour le référencement ?), mais je vais m’arrêter là pour souligner que pas un seul ne néglige son audience. Si on les interpelle, ils répondent, que ça vienne d’un anonyme ou d’un bon pote, et c’est aussi un peu pour ça qu’on les suit.

Et on arrive à la catégorie infecte, abusée par les sirènes du personal branding. Les nouveaux rois, les petits princes du tweet. Des community managers ou des experts multimédia sortis d’on sait pas trop où, mais qui peuvent avoir le vent en poupe en ces temps où on échange volontiers en 0 et en 1. Ils se déclarent experts sur leur blog perso ou chez leurs partenaires. Et, sans arriver à la cheville du Dalaï, on veut bien les croire vu leur nombre de followers. Mais dans le fond, ils sont pas si malins. Ou bien ils sourcent toujours le même site, pas forcément le leur pour pas pousser la déconnade trop loin. On peut très bien s’abonner aux tweets de ce site et se passer du perroquet soi-disant calé. Mais y a encore plus fort ! C’est le type qui suit plein plein de gens, qui a l’air sympa dans le fond, qui pousse un peu notre sympathie. Ok banco, on le suit en retour et on établit un contrat de confiance twitterien. Et après avoir joué au tisseur de réseau en pleine expansion, le type efface tout le monde, et affiche un score de géant cité plus haut, sans l’humour et la réputation ! Chapeau l’artiste, vraiment fallait l’oser ce tour-là !

Et non content d’afficher sa cour légèrement truquée, le roi snobe. Quand il twitte un truc sujet à dialogue et qu’on l’interpelle, il méprise, et continue de jeter ses tweets comme s’il distribuait des susucres à ses servants. Alors qu’au départ, on le pensait franchement sympa, ce mec « New Generation » qui nous suivait… A mon avis, une décapitation numérique s’impose pour remettre ces fausses idoles à leur place. Pourquoi pas un petit #UNFF, inverse de la pratique courtoise, avec les meilleurs têtes couronnées à décaner, l’histoire de montrer qu’on est pas complètement idiots ?

Ceux qui m’accuseront d’incitation à la haine numérique se trompent sombrement. L’humilité est vertu sur le net, et « l’expert » qui ose snober celui qui lui signale de l’intérêt ne mérite pas son titre volé.

P.S : Je n’ai cité dans ce billet aucun compte snobinard pour me faire une joie de déballer mes deux chouchous ce vendredi.

P.S 2 : Si toi aussi tu as des exemples d’imposteurs twittos, n’hésite pas à les mettre en comm’ !


Ne m’appelez pas brandeur

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Disclaimer : Ce que je vais dire ici ne s’applique pas forcément à tous ceux qu’on qualifie de personal brandeurs.

Certains vont sans doute trouver ce billet hautement ironique, hypocrite ou que sais-je d’autre étant donné ma position. Pourtant, au vu de la folie sur le sujet, en réaction aux billets chez JC Feraud et Erwann Gaucher, à l’article de Libération, à celui des Inrocks et à toutes les « conneries » que j’ai pu lire sur le sujet, il me paraît nécessaire.

Qu’est ce qui me vaut (et à d’autres) la qualification de « personal-brandeur » ? Revenons-en à la définition. Je vais vous livrer celle d’Eric Maillard.

« Le Personal Branding consiste à s’exposer comme une marque, mais avec une identité publique qui doit ressembler trait pour trait à la personne qui se cache derrière, sans exclure les failles qui font l’humain. »

Ce que je vais retenir là-dedans et qui me dérange vraiment, c’est l’action de vouloir se mettre en avant, une certaine « recherche » de la célébrité ou en tout cas, de la reconnaissance.

Petit flash-back historique.

Ma présence sur Internet en 2008 ? Un blog sous pseudo aujourd’hui supprimé et un compte Facebook à usage uniquement personnel.  A noter aussi une tentative de site d’actualité avec Morgan Marietti qui s’est révélée un échec total. Traces sur le web à mon nom : proche de zéro. Et déjà la très forte concurrence d’un champion d’enduro…

Juin 2009, je rentre d’Espagne. Ma présence sur le web en est toujours au même point. Ah si, un blog photo. Qui existe encore mais il faut vraiment le chercher. Je fais cet été là mon premier stage sur Internet et je me crée un compte Twitter. La première page vraiment identifiée à mon nom sur la toile.

Depuis ? Un LinkedIn, un Viadeo, un CV, un Tumblr (que je ne mets pas à jour), un blog (vous êtes dessus) qui est en « copropriété » et absolument pas optimisé dans les métadonnées. Il ne ressort même pas si on me « googlise ».

Alors certes, ma présence en ligne est à présent plus ou moins « intensive » bien que venue relativement sur le tard (le terme de personal branding est apparu en 1997). Pourtant je ne l’ai jamais conçue  pour être reconnu. Je ne l’ai même jamais envisagé comme ça. Alors oui clairement, c’est agréable, cela fait plaisir, ça ne sert à rien de le nier. Mais je ne suis vraiment pas convaincu par l’idée que cette démarche doit être forcée ou même réfléchie. Il y a certains écueils à ne pas franchir c’est évident.  Mais l’ensemble doit se faire d’une manière naturelle, en privilégiant le plaisir avant tout. Une simple raison à ça. Beaucoup de personnes tentent de se « mettre en valeur » (pour éviter ce mot qui me semble tabou) et les fumistes, intéressés et non sincères sont vite repérés dans la masse et catalogués.

C’est le message que j’ai essayé de faire passer aux élèves de la licence pro journalisme et média numérique de Metz la semaine dernière. Certains d’entre eux vont peut-être s’étouffer en lisant ce billet. A mon grand regret j’ai dû insister sur l’aspect purement formel, des choses à faire et ne pas faire.

Comment décrire le fait d’être naturel ? « Soyez-vous même ». C’est bien court pour occuper 4h de cours. J’avais ironiquement nommé un de mes chapitres « personal branding ». Certains d’entre eux, je m’y attendais et je l’espérais, ont comparé cette pratique à du marketing. Une vision qui rejoint celle définie par tous les spécialistes (111 000 000 résultats sur Google en cherchant personal branding quand même…). Et c’est cette vision que je veux battre en brèche.

Certains collègues riaient quand je me rendais à des conférences (ici ou encore ici et) ou aux soirées du Djiin. Je n’allais pas à ces soirées pour me faire connaître (ceux qui m’ont déjà vu avec un badge, levez la main). Certes, cela permet de faire des connaissances, d’élargir son réseau. Une pratique journalistique somme toute classique. Mais je m’y rendais plus par réelle envie et surtout avec les yeux d’un journaliste « néo-parisien ». Quelles sont les chances pour quelqu’un habitant à Metz, à Tours ou à Rennes de voir des conférences sur le storytelling, le transmédias ?

Si nous discutons sur les réseaux, échangeons sur les blogs, ce n’est pas pour nous faire repérer et faire parler de nous (pas uniquement en tout cas) mais surtout parce que ces outils font maintenant partie de qui nous sommes, de comment nous envisageons notre métier. Je ne peux pas imaginer travailler sans les utiliser. Mais il est ici bien question de travail journalistique, pas de marketing.

Nous échangeons nos avis, nos idées, notre vision du métier. Prétentieux que nous sommes à notre âge n’est-ce pas ? Les journalistes brandeurs semblent être une espèce « honnie » car jouant de leur célébrité et cherchant toujours à l’augmenter. Des profiteurs abusant du système dans un métier en crise. Cela serait faire bien peu de cas des recruteurs et des journalistes déjà en place. Traitez-moi de rêveur mais si la « célébrité » ne s’accompagne pas de compétences, elle ne mène à rien. Et là encore, les « hypocrites, intéressés, faux-culs » seront vite démasqués par les rédactions.

Note :  Reguen m’a prévenu que je n’étais pas crédible sur le sujet. A vous de juger. N’hésitez pas à lire son très bon billet.  Et non Reguen je ne te lance pas de fleurs pour que tu m’épargnes dans les commentaires. Lâche-toi.
Note 2 : Coup de gueule du week-end que je vais peut-être regretter plus tard. Tant pis. Pardonnez aussi la forme parfois un peu brouillonne, je reviendrai dessus au besoin. Le titre est une idée de Steven Jambot.

A lire la réponse de Morgane Tual : Je suis une personal brandeuse. Et j’assume.

« En France, il y a plus de racistes que d’étrangers » (Coluche)

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Poussins

Un jour, lors de mon job d’été il y a peu, un collègue, étudiant lui aussi, me lance : « Mais c’est vrai qu’il pourrait y avoir un vrai Français à ta place ! » Songeur, le type, je n’ai pas trop osé le déranger dans sa méditation, mais pourtant il faut quand même reconnaître qu’au sens juridique on ne peut faire plus Français que je ne suis : née sur le territoire français de père français et de mère française. Il est généralement difficile de percevoir que je suis d’origine étrangère, au premier coup d’œil. Pourtant, mon héritage de l’ailleurs ne remonte pas très loin : trois de mes quatre grands-parents étaient libanais, le quatrième palestinien, mes deux parents libanais, moi-même double nationalité. Une de mes cousines, de la même filiation, a déjà eu droit à du « Sale arabe ! », on n’est pas tous égaux face à la mélanine.

Je ne suis pas « totalement » française, parce que mon éducation libanaise m’a ouvert d’autres portes. Pourquoi pas (mais quand même : pourquoi ?). Dubitative, j’étais, et j’ai essayé de comprendre ce qu’il avait voulu entendre par « vrai Français » – quoi qu’il en soit, on en est tous là un jour : qui suis-je, d’où viens-je, et qu’est-ce que l’identité nationale.

Sachant fort bien qu’il m’est impossible d’esquisser une réponse à ces questions sans lire au moins quelques grands théoriciens (mais il est l’heure d’avouer que je n’en ai pas (encore) le courage), j’ai réfléchi à ma propre identité, ma propre perception de mon identité. Dans les questionnaires, invariablement, je suis dans la case « France », c’est propre. Techniquement, je suis (on est tous) un peu plus que ça : à moitié (bien qu’entièrement) libanaise, est-ce que ça me rend moins Française ? Et puis la question de la langue : je parle français mais pas trois mots d’arabe.

Ce dernier point, la langue, est probablement essentiel, par les questions qu’il suscite : que ce soit « Tu ne parles pas arabe ? Mais fais attention, ne t’éloigne pas de ta culture, c’est important. » ou « C’est dommage de perdre ton héritage, tu devrais apprendre l’arabe. » Toujours cette distance : ta culture, ton héritage – certes, mes ancêtres n’étaient pas gaulois mais quand même je reste un produit de la République française, quoi. Je dis ça dans le sens où j’ai été élevée à l’école républicaine, je suis à l’université, je connais quasiment mieux l’histoire de France et d’Europe que celle du Liban et je ne suis allée qu’une seule fois dans « mon pays » (dans certains cas, il est vain d’introduire l’idée de citoyen du monde).

Cette manière, pleine de bonne volonté, de mettre à distance ce qui est considéré comme « ma » culture, plus que la française, l’européenne ou n’importe quelle autre que j’aurais choisi, est un peu dérangeante : qu’est-ce qui justifie qu’un inconnu me félicite d’avoir « si bien appris notre si jolie langue » (notre, par opposition à quoi ?). Qu’est-ce qui justifie qu’on me regarde avec curiosité : « Je n’aurais jamais deviné que tu étais libanaise ! » (sous-entendu : tu le caches bien ?). Surtout, qu’est-ce qui justifie qu’on puisse penser que deux cultures ne puissent cohabiter ? Qu’on me demande : « Comment peux-tu dire que tu es libanaise si tu ne parles pas la langue et si tu n’y vas jamais ? »

À qui dois-je rendre des comptes, au final ? Au Français, le vrai, le bon, à qui j’ai pris du travail ? Aux curieux fascinés de voir l’étranger si proche (si je ne le dis pas, ça ne se devine pas forcément) ? On peut retourner l’interrogation : toi qui te revendiques Breton, parles-tu breton ? Il n’est pas question d’acculturation ni d’assimilation, juste de vivre ensemble. J’ai commencé à regarder plus attentivement les rues, les couleurs dans les visages, les sourires différents, toutes ces pierres qui construisent un tout, harmonieux vu de loin. Mais le vieux rêve n’est pas encore réalité, ne le sera pas tant que les « différences » resteront marquées à ce point.

« Devenir étudiant, c’est presque toujours, devenir économiquement assisté »

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Manifestation du premier mai 2009

Manifestation du premier mai 2009

Des lycées bloqués aujourd’hui,  l’Université hier et le CPE avant-hier. On continue la chronologie ou c’est suffisant ? Ces mouvements entrainent dans la rue quelques milliers de jeunes, étudiants, lycéens. Crier leur colère, leurs désillusions et leur envie de reconnaissance.

A l’heure où le 5ème risque (coût de la dépendance des personnes âgées) parait plus importante que les conditions précaires dans lesquelles peuvent vivre une partie des jeunes, moi ça m’effraie. Non, parce que les années estudiantines sont sensées être nos plus belles années. Et nous vivons dans un climat de crainte face à l’avenir. Quel étudiant pourra dire que son diplôme l’amène à un boulot des plus épanouissants ? Qu’est ce que cette galère et cette course aux bourses, aux petits boulots pour financer ses études au détriment de ces dernières ?

L’entrée sur le marché scolaire d’une foule d’élèves dans les années 80, l’objectif d’emmener 80% d’une classe d’âge au bac [1] (et non 80% de réussite au bac !), l’allongement de la scolarité depuis les années 1960, le contexte économique difficile qui ne date pas d’hier et les craintes de la population « jeunesse » de ne pas trouver de travail à la sortie de leurs études amène à une redéfinition de la question « qui sont les jeunes aujourd’hui ? ».

Tout d’abord, ils sont plus vieux que ceux d’hier, vision purement logique du problème, on assiste à une désynchronisation et à un report des seuils d’entrée dans l’âge adulte[2]. tre adulte aux yeux de toute une société, c’est pouvoir s’assumer matériellement.  Or,  les jeunes subissent une double dépendance : étatique et familiale et s’en débarrasser pour être un adulte à part entière, respecté en tant qu’adulte, maitre de ses décisions et libre de ses choix personnels (passons outre le côté psychologique) relève du parcours du combattant.

Alors pourquoi parcours du combattant ? Parce que d’une part, les aides de l’Etat concernent la situation de la sphère familiale, par le biais entre autres des bourses et des allocations familiales jusqu’à 20 ans. Quid des étudiants en rupture familiale ou dont le lien est fragile, à tel point que demander une aide financière est plus que complexe ? De ce point de vue, le jeune presqu’adulte est considéré comme dépendant. Mais de l’autre, l’Etat verse directement une allocation logement aux étudiants, conditionnée par le montant de leurs propres ressources. Ici en revanche, il est adulte. Double définition pour un même âge…

En plus la majeure partie des frais de scolarité (à titre indicatif, plus de 400 euros pour un master, avec la Sécurité Sociale), et parfois des frais annexes, incombent à la famille et entrainent soit une obligation de rester au domicile parental (le jeune reste « l’enfant »), soit une dépendance financière au niveau du logement (le jeune est un adulte infantilisé par nécessité). Encore ici, l’étudiant est assis entre deux chaises, position somme toute assez inconfortable.

Il y a  « tension entre la volonté de suivre la norme de l’indépendance du jeune adulte et la nécessité d’être pris en charge financièrement pour pallier au manque de ressources nécessaire à une indépendance totale [3]». Alors certes l’accès à l’indépendance par la décohabitation se retrouve dans les milieux aisés, en revanche dans les milieux les plus modestes, partir de chez soi implique un travail salarié à côté des études. Même pas la peine pour les BTS et IUT ! Quant à la fac, le travail en dehors reste encore vecteur d’abandon, et ce dès la première année… On peut aussi tout abandonner et faire œuvre d’une « sortie précoce sans filets [4]», trouver un travail qui ne correspondait pas à nos idéaux premiers. Je ne parle bien sûr pas de « devenir princesse »… c’est pas le même type d’idéal.

Alors ces jeunes, là dans la rue, ils se rendent peut-être compte du décalage entre leurs désirs (hétéro-normés ça va de soi !) et les possibilités réelles. Non ?

(le titre est une citation de Louis Gruel et Claude Grignon, à retrouver dans l’enquête de l’Observatoire de la Vie Etudiante de 1999)

[Mise à jour le 21 octobre]: à lire cette semaine dans la presse: l’excellent dossier des Inrockuptibles n°777 « Le président anti-jeunes » et Libération du 21 octobre « Jeunes. Pourquoi ils se révoltent »


[1] Je vous conseille l’excellent livre de Stéphane Beaud « 80% au bac et après, les enfants de la démocratisation scolaire« , Editions La Decouverte, 2003

[2] Olivier Galland, « Un nouvel âge de la vie », Revue française de Sociologie, 1990

[3] Cecile Van de Velde « La dépendance familiale des jeunes adultes en France. Traitement politique et enjeux normatifs », ouvrage collectif, Serge Paugam, « REPENSER LA SOLIDARITE. L’APPORT DES SCIENCES SOCIALES », PARIS, PUF, COLL. LE LIEN SOCIAL, 2007.

[4] Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp, 1995, « L’art et la manière de quitter ses parents », Populations et Sociétés, n.297.

Quand la sociologie esquisse une explication de la pseudo-démocratisation culturelle

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Alors la sociologie, ça sert à regarder le monde, la société différemment, avec un œil nouveau, comme s’il s’agissait d’une autre grille de lecture ou d’une paire de lunettes à tendance explicative.

Ça permet aussi de ne pas tomber dans les clichés les plus dévastateurs pour ceux pointés du doigt. Là il s’agit de la stigmatisation à outrance. Des exemples ? Les chômeurs sont fainéants, les parents issus de l’immigration sont démissionnaires, les enfants sont délinquants parce qu’ils sont mal élevés et j’en passe. Cette article n’ayant pas de valeur scientifique, ne vous attendez pas à une argumentation des plus développées : la sociologie est un vaste monde presque parallèle qui vous exclut la plupart du temps des débats familiaux ou avec des proches. Vous êtes sociologue ? Gardez ça pour vous.

Extrait d’un dialogue de sourds :

- De toute façon, avec toutes les mesures pour la démocratisation de la culture [terme datant des années 1950], tout le monde peut y aller maintenant dans les musées ! Regarde le premier dimanche du mois, les musées sont gratuits !

Elles @Pompidou, mai 2010

- Oui, peut-être. Mais si les visites sont en augmentation, ce sont toujours les mêmes qui vont au Louvre ou à Beaubourg !

- Mais tout le monde y a accès ! Quand on veut, on peut hein…

- Tout le monde peut y avoir accès, nuance…

- Mais c’est la même chose !

Et là, vous aurez beau expliquer que non ce n’est pas la même chose, qu’on a, dans la pseudo-démocratisation de la culture, la mise en place d’un frein aux classes les moins pourvues en capital économique mais surtout en capital culturel, vous n’obtiendrez rien d’autres qu’un acquiescement qui signifie « foutaises ! ».

Ici, on peut sortir l’arme sociologique pour essayer de comprendre. Qu’est ce que c’est que cette histoire de capital culturel d’ailleurs ? La sociologie apporte des réponses à la question « mais pourquoi ce sont toujours les mêmes qui vont au musée ? ». Pierre Bourdieu, sociologue, définit le capital culturel par l’ensemble des ressources dont dispose un individu en tant qu’incorporées (savoir-faire et compétences), objectivées (possession d’œuvres et d’objets culturels, d’une bibliothèque, etc.), et institutionnalisées par les titres scolaires et les diplômes. Concrètement, le capital culturel, ce sont les livres possédés, la pratique de la lecture et une licence de lettres en prenant la littérature pour exemple.

Sachez-le ou souvenez-vous, nous ne possédons pas tous le même capital culturel !

Il parlait aussi des concepts d’habitus et d’ethos, de capitaux et surtout de domination. Ceux qui dominent par leurs capitaux économiques, les classes supérieures donc, appliquent ou ont la capacité d’appliquer à la société une certaine suprématie culturelle, empreinte de violence symbolique : les dominants légitiment leur culture et de fait La Culture. Or pour lire cette culture, il faut avoir au préalable incorporé le code de lecture ! Qui ressemble à un ensemble de signes qui permettraient de comprendre ce qu’on regarde, à savoir que pour admirer une œuvre contemporaine ou une exposition classique, encore faut-il y avoir « culturellement » ou « socialement » accès et pas simplement physiquement parce qu’elles sont gratuites un jour par mois (ou plus pour certaines). Hop, on en revient au capital culturel de départ.

Et comment avoir accès à ce code de déchiffrage ? Nous y voilà. C’est toujours avec Bourdieu que nous pouvons trouver une piste d’explication avec le concept d’habitus ou tout ce que l’individu acquiert comme dispositions, comme normes au cours des différentes socialisations et formant des manières de penser et d’agir. Autrement dit, si votre appartenance à une classe sociale ne vous socialise pas, de manière non consciente, à l’amour de l’art, les musées auront beau être gratuits les premiers dimanche de chaque mois, vous n’y mettrez pas plus les pieds !

Avec ça, on pourrait dévier vers la domination et la reproduction sociale mais ce sera pour un autre chapitre. Toutefois si vous voulez clore un débat plutôt pénible, vous pouvez toujours expliquer que l’habitus, selon Bourdieu, ce sont des « structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes », en général, ça permet de laisser votre interlocuteur quelque peu coi.

Pour aller plus loin:

L’article de janvier 2010 sur Inégalité.fr

Un peu d’histoire sur les politiques culturelles.

Photo Flickr CC by Dawn Endico.

Anorexie, explications (attention ça pique)

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Tout a commencé avec le décès d’Ana Carolina Reston, top model. Trop maigre pour continuer à défiler vivante, elle en est morte. D’anorexie. Quel grossièreté alors ! Elle avait fait hurler les spectateurs devant les podiums et la vox populi derrière leurs écrans.

Et puis il y a quelques temps maintenant, en 2007, Isabelle Caro posait pour Olivero Toscani, campagne contre l’anorexie No-Lita. Un vrai buzz, du 4 par 3 de peau et d’os, et de grands yeux qui puaient la mort. Interdite en France. En la regardant, on pouvait y lire qu’elle ne s’en sortirait pas, qu’elle en mourait déjà. Déjà, parce qu’en réalité, les troubles du comportement alimentaire tuent alors même que la victime n’a pas ses trois électroencéphalogrammes plats, critère de mort cérébrale qui donne raison au corps médical pour déclarer à un mort, sa mort.

L’anorexie, la boulimie, on en meurt, c’est certain. On y survit aussi, avec des symptômes plus ou moins chroniques. Soit, c’est un fait. Mais au delà de la banale interprétation, qui consiste à dire que les victimes (ou ex-victimes) ont été imprégnées par la société occidentale et happées par les diktats de la mode, il y a d’autres causes. Celles dans l’obscurité, tellement plus douloureuses pour ceux que l’on taxe, à tort, de moutons de panurge, esclaves d’un système qui voudrait que ce qui est mince est beau. Et que la norme se trouve affichée sur une balance digitale avec mesure du taux de masse grasse. N’accablons pas une société qui déjà se trouve coupable de tous les maux. Ou alors creusons plus loin, au-delà de la fameuse partie émergée de l’iceberg, à savoir la peau sur les os ou les glandes parotides gonflées.

Ces causes, multiples, variables, complexes, on ne les évoque jamais de façon brute, toujours à demi- mot. Parce qu’elles font peur, parce que c’est tabou encore. Parmi elles, en vrac, on trouve les violences familiales, le viol, l’inceste, le manque de reconnaissance en tant que personne, l’immense vide d’amour, la place au sein de la famille, de la fratrie, l’absence d’estime de soi, le cauchemar de l’échec, le traumatisme de la perte d’un être cher, d’un pilier. Tout ça prend racine au sein de ce que l’on appelle couramment l’enfance, l’adolescence. Et se perpétue jusqu’à trouver dans les troubles du comportement alimentaire une cause, un but à sa vie. Cette chose à maitriser, le comportement alimentaire et l’apparence corporelle toujours insatisfaite, reste et s’installe parce qu’au delà du quotidien maladif plus rien d’existe. La peur de perdre le contrôle qui l’entraîne à toujours vouloir perdre plus, à aller vers sa mort, l’anorexique l’utilise pour survivre. Paradoxal, non ?

Inutile d’enfermer les anorexiques, de les gaver à coup de sonde naso-gastrique, de les priver de courrier ou de visites de proches en cas d’hospitalisation, nécessaire en cas de sous-poids mais aussi pour une baisse du taux de potassium si vomissements volontaires, en cas de poids normal ou de surpoids, le corps est en danger. Non, utile en revanche d’utiliser les thérapies familiales, comportementales, analytiques, etc. Utile aussi un suivi somatique en plus d’une thérapie, d’un isolement du cadre familial ou quotidien mais sur proposition au patient. Et avec son accord. La force n’a jamais rien résolu.

Alors inutile également de taxer la mode, de la prendre pour responsable d’un mal plus enraciné encore que la vision des mannequins faméliques défilant sur les podiums. Il est faux d’attribuer cette souffrance à la vue de simples images sur papier glacé. Tout comme il est trop facile de préférer se voiler la face quant aux différentes causes réelles. Qui ne s’enfile pas la moitié d’un paquet de biscuits en cas de déprime passagère ? Qui n’a jamais perdu l’appétit au décès d’un proche ? Mettez ça en lien avec une sensibilité décuplée et exacerbée par une situation familiale cahotique (un divorce, le décès d’un parent proche pour l’adolescent ou l’enfant, repère, seul confident, un inceste, des violences parentales ou familiales ou extra-familiales) et vous pourrez obtenir un mélange détonnant appelé troubles du comportement alimentaire. Le problème est sociétal, certes, mais ne prend pas forme avec des mannequins de papier glacé.

Bien loin de la mode et de son influence minime. L’anorexique envie peut-être ces mannequins, mais les mannequins squelettiques n’en sont pas responsables.

Photo Charlotte Astrid (CC Flickr)

Une certaine idée du féminisme

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Féminisme (nom, m.) : ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales cherchant à promouvoir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. C’est une idée que j’ai tendance à considérer dans la continuité de ma conception de la personne. Féminisme, je le justifie depuis toujours par le besoin de rétablir un équilibre volé injustement. Féminisme : une évidence parce que nous sommes tous nés « libres et égaux en droits », après tout. Une évidence, oui, mais pas tant que ça.


Le premier reproche que l’on me fait quand je m’annonce féministe porte souvent sur le terme : le féminisme  serait-il un nouveau machisme renversé ? Pour cela, argument très raisonnable, répondre sur le terrain de l’histoire : le féminisme n’est pas un « isme » comme les autres. Et puis si seulement le mot dérange, « soyons universalistes » (de toute façon le féminisme différentialiste a eu son temps, à présent révolu). Mais ce reproche est souvent émis par des personnes qui ont déjà réfléchi à l’égalité des sexes, pour qui c’est une évidence, une nécessité. Ce que j’entends derrière « universaliste » plutôt que « féministe » c’est la volonté de ne pas s’inscrire dans une démarche militante, mais davantage individuelle, un effet boule de neige.

Ce reproche, je l’admets tant qu’il ne cherche pas à parasiter le débat : tant qu’il ne focalise pas les idées féministes sur le terme qui les définit. Beaucoup de femmes ne s’affirment pas féministes, et parfois s’éloignent de cette appellation, mais inscrivent leur parcours dans une démarche que l’on pourrait qualifier de féministe (mais on ne le fera pas parce que chacun a le droit de choisir comment se définir).

L’autre critique assez répandue, notamment en France, s’appuie davantage sur le fond : les féministes ne seraient-elles pas des hystériques poilues et frustrées, probablement lesbiennes tant qu’on y est (considérant ainsi que l’on choisit sa sexualité) ? Là, peut-être touche-t-on le cœur du problème : qu’est-ce que le féminisme soulève pour valoir tant de reproches ? Ou plutôt : pourquoi veut-on cantonner les femmes à une place particulière ? Et si on déconstruisait méthodiquement les reproches faits (et entendus maintes fois) ?

  • la féministe est hystérique : on doit à Freud l’amalgame femme = hystérique, mais, aujourd’hui, dans les définitions médicales du terme (il s’agit bien d’une maladie), on ne trouve pas de référence précise au genre lié à cette maladie. Et puis l’argument est de toutes façons vicié : pour tout profane, chaque militant est « hystérique » — surtout quand c’est une femme.
  • la féministe est poilue : à ça j’aimerais répondre « Et alors ? N’est-on pas libre de ses choix en matière d’épilation ? », mais je crains de passer pour une hystérique. Pourtant, l’épilation comme Diktat est légion surtout en France : l’observation empirique permet de déterminer que n’être pas lisse dans les douches des piscines municipales n’est pas une tare à l’étranger. Par ailleurs, que signifie l’épilation ? Pourquoi la femme se devrait-elle d’être imberbe : pour l’homme ? pour la société ? La question de l’épilation divise beaucoup les femmes, on s’aime la peau douce. On nous a appris à nous aimer la peau douce. L’épilation est sans doute le symbole de la domination masculine le mieux intériorisé par les femmes. Sous-tendue par le « poilue », la question du laisser-aller des féministes : comme si une femme en jupe et en talons ne pouvait avoir des revendications égalitaires. Ou comme si un garçon manqué (écoutons les mots, ils parlent tout seuls) était automatiquement féministe. Syllogisme qui tombe dès qu’on l’établit.
  • la féministe est frustrée : « Elle est mal baisée » est sans doute mon expression préférée de la langue française. Un homme frustré doit « se vider », une femme frustrée doit « être baisée » : la passivité de la phrase est éloquente. Cela signifierait qu’une femme heureuse et comblée sexuellement ne pourrait avoir des idées féministes (ou des idées tout court… ?). L’homme, via son phallus, permet donc de canaliser la femme hystérique (qui s’est donc épilée pour l’occasion, si elle est délicate). Charmante conclusion. Je ne sais même pas s’il faut prendre de l’énergie pour la contredire…
  • la féministe est lesbienne : forcément : frustrée de ne pas trouver d’homme parce qu’elle est négligée, la féministe doit se rabattre sur ses semblables pour trouver le bonheur. Sauf que le prémisse est déjà faux : la sexualité n’est pas choisie par l’individu, l’homosexualité n’est pas un choix, plutôt une question d’ordre biologique. par conséquent, non, toute féministe n’est pas lesbienne (et quand bien même, l’homosexualité n’est pas un défaut ou quelque chose à poser comme reproche, quelle que soit la situation).
  • « la » féministe : certains n’envisagent pas qu’un homme puisse être féministe. J’en ai croisé lors de manifestations pro-choix, et pas qu’un. Et ils n’avaient pas le visage allongé de ces hommes qui attendent à la sortie d’un magasin que leur compagne en finisse enfin. Pour continuer dans le cliché, ils n’étaient pas tous homosexuels. Des hommes, sexuellement normés, prennent donc part au combat féministe. En effet, une féministe ne cherche pas à castrer les hommes, au contraire.

Pour finir, le reproche que je chéris sur le féminisme est celui porté par des femmes qui, bien qu’indépendantes après des études et un accomplissement professionnel certains, refusent de faire une croix sur la galanterie. Ainsi donc, il faudrait continuer à être fragiles face à ces messieurs qui sont heureusement là pour nous pousser portes et chaises. Il est également bienheureux que les hommes aient un travail, cela permet d’être invitées au restaurant. Sur ce point, il semble qu’il pourrait s’agir de choix personnels plus que de militantisme. Pourtant, je ne vois pas comment faire avancer la cause quand on se décrédibilise en se révoltant parce qu’un homme ne s’est même pas levé pour nous céder sa place dans le bus. Il y a là une incohérence nuisible.

Et encore, je n’évoque pas l’idée reçue que « chez nous, c’est gagné, plus besoin de parler de féminisme, c’est dépassé ». J’aimerais bien en passer par les chiffres des violences conjugales, affligeants, ou bien par les différences de salaire, incroyables, ou encore par les publicités éminemment sexistes (femme à la cuisine, homme dans la voiture), pitoyables. Mais je pense surtout qu’aujourd’hui, avec toutes les informations disponibles que l’on a, si on refuse d’accepter que les femmes sont discriminées, c’est que les œillères sont trop enfoncées. Le féminisme touche à quelque chose de trop intime, de trop profondément ancré dans nos sociétés pour être discuté en toute objectivité. Certains refusent simplement d’accepter qu’il y a quelque chose à voir. Comme quand on croise un sans abri : on détourne le regard, c’est tellement plus simple.

Pour aller plus loin

- Masculin, Féminin. La pensée de la différence de l’anthropologue Françoise Héritier (1996) est ici en lecture libre

- Lecture régulière du blog d’Olympe, « le plafond de verre »

- Collectif Osez le féminisme !

- Vie de meuf : le blog d’Osez le féminisme sur le machisme ordinaire

- « Salaires hommes/femmes : d’où vient la différence ? »

- Observatoire des inégalités : « les inégalités de salaires hommes/femmes, du temps de travail aux discriminations »

- La domination masculine : le site officiel de l’excellent film de Patric Jean

Tout ce que je ne sais pas sur la question trans

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Dans le cadre du festival du film ethnographique de l’association L’Autre de l’université Bordeaux-2, j’ai assisté le samedi 9 avril à la projection du film L’Ordre des mots dans le « troquet LGBT hétéro-friendly » (comme ils se décrivent) L’Ours marin. Cette année, Le thème du festival était les frontières et cela justifie le choix du film : après le trouble, voici la frontière dans le genre. Le sujet du film était la question trans. On pourrait, certes, parler de question transsexuelle ou même transgenre, mais il s’agit ici de toutes les formes de trans qui peuvent exister.

Je n’ai pas été vraiment perdue au cours de ce film, j’ai déjà été amenée à lire des ouvrages sur les études de genre qui m’avaient fait me poser certaines questions, notamment sur l’aspect social du genre. Petit à petit, néanmoins, j’ai mesuré l’étendue de mon ignorance : je n’ai jamais eu vent de tout ce que j’entendais dans ce film. Succession de témoignages sincères et sincèrement émouvants, je me suis sentie inculte – non pour me dévaloriser gratuitement mais parce que, clairement, incultes, nous l’étions quasiment tous face à ce film. Ce qui finit par susciter d’innombrables interrogations.

« Est-ce qu’on appartient à l’humanité si on n’est ni un homme ni une femme ?  »

La première, la plus évidente, serait : qu’est-ce qu’être trans ? Serait-ce un malade psychiatrique gravement atteint, comme le prônent la plupart des médecins psychiatres ? Il suffit d’écrire dans un dictionnaire médical « Ceci est une maladie » pour que cela le devienne ; or, dans le cas de la question trans, il n’existe pas de « preuve » tangible pour déterminer ce que c’est. On devient trans par défaut, raisonnement par l’absurde : ni schizophrène, ni maniaco-dépressif, ni, ni… Donc, sans doute, trans, si vous vous sentez mal. Donc, en gros, si vous êtes un homme, c’est que vous voulez devenir femme (Male to Female, MtF), et si vous êtes une femme c’est que vous voulez devenir un homme (FtM), non ? … Et si c’était plus complexe qu’il n’y paraît ? Au diable la bicatégorisation ! Le documentaire soulève en outre une sorte de chape de plomb : non, on n’est pas forcément FtM ou MtF… On peut aussi être (devenir) F/MtU (Unknown).

Il s’agissait alors pour moi de découvrir un horizon clairement nouveau : qu’est-ce qu’être un homme ? Une femme ? « On ne naît pas femme, on le devient », écrit Simone de Beauvoir. D’accord, partons de ce principe que le genre (homme/femme) est social. Et donc… à vrai dire, à part ça, je ne sais rien d’autre. D’autant que, suivant le documentaire, les intersexes sont considérés comme atteints d’une « pathologie », urgence sociale et médicale. Une personne intersexe, dans le film, se décrit ainsi : « On nous a posés entre les sexes, mais on est hors du sexe. Je n’ai jamais sécrété d’hormones sexuelles. J’ai tendance à me décrire comme rien, je ne suis rien, au sens d’absolu, infini, pas au sens négatif. » Concluant : « Dans l’immense majorité des cas, on ne sera jamais ni un homme ni une femme, on sera nous, tout simplement. »

Trans : une maladie mentale ?

Le corps médical français s’obstine à psychiatriser les trans : le protocole pour accéder au traitement hormonal dans un premier temps (2 ans) puis à une opération (2 ans) est extrêmement long et contraignant et laisse beaucoup individus sur la touche. Une trans du documentaire soulève une question importante : un jour, après quelques rencontres, on lui dit : « Non, vous n’êtes pas femme, vous ne pouvez plus continuer »… Ces personnes qu’on met ainsi de côté, où sont-elles ? Le doctorant en sociologie Arnaud Alessandrin souligne l’idée de « bouclier thérapeutique » : parce qu’il pourrait y avoir des excès, des regrets, les médecins préfèrent semer le chemin d’obstacles, brandir leur bouclier thérapeutique mâtiné de professionnalisme et empli de retenue et de bonne conscience  : « C’est pour votre bien ». Ce même corps médical, lorsqu’un bébé naît intersexe, décide (avec les parents) d’assigner un sexe à l’enfant, dans des violences physiques assez intenses pour un si jeune être.

Qu’on colle aux trans l’étiquette de « malades mentaux » commence à ressembler à une obstination sans fondement : depuis 50 ans, la psychanalyse n’a guéri personne (personne !), alors que l’opération a permis à quasiment tous ceux qui sont passés par cette étape de se sentir mieux. Qu’un médecin se permette de dire : « Dans l’espèce humaine, il y a deux races, les hommes et les femmes, la transition est impossible » devrait devenir aussi choquant qu’un médecin qui dit à une femme qui avorte qu’elle l’a « bien mérité ». Un MtF ne devient pas une femme après l’opération : « Je ne suis pas une femme. Au mieux, je suis une femme trans. » Ce que ce film s’applique à répéter, c’est qu’il faudrait rompre avec le clivage simpliste que le monde nous impose. S’accepter tous comme on est, dans nos différences, c’est une belle leçon d’humanité, que les ricanements de certaines personnes quand on évoque la question trans, laissent présager encore longue à s’ancrer.

Pour aller plus loin :


Contre le harcèlement de rue

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Souvent, dans des conversations, je me vois obligée  d’expliquer que je suis féministe et qu’il faut passer par la réacceptation de la femme comme être humain et non comme objet, que c’est une urgence pour vivre dans une société sereine. Parce qu’il faut être un homme, ou une femme qui aurait incroyablement intériorisé la place que le patriarcat lui offre, pour ne pas remarquer à quel point être une femme, même en France, même en 2011, est difficile au quotidien.
On a l’habitude de cette difficulté : dès l’enfance, nos parents nous apprennent à nous comporter « convenablement », pour ne pas troubler qui que ce soit. On nous apprend notre genre social, ici: la femme. Peu importe la classe sociale, le rôle de la femme dans notre société est encore d’être un faire-valoir pour l’homme, ou un exutoire, selon l’humeur (de l’homme, bien sûr). Ainsi, éviter de se promener en jupe trop courte : ça pourrait exciter le mâle. Ne pas parler aux inconnus. Pas de décolleté dans la vie quotidienne : qui a envie d’être considérée comme une salope ?

Si tu ne t’habilles pas convenablement et qu’un homme te viole dans la rue, c’est ta faute, ma chérie, sache-le et intériorise-le dès le plus jeune âge. De toute façon, personne ne nous apprend à nous battre : ce n’est pas correct pour une fille. La danse, à la limite le tennis, mais surtout pas se battre. Pourtant, ce serait tellement utile parfois !

On a toutes vécu des scènes dans la rue ou dans les transports publics où une seule pensée, obsessionnelle, survient : comment, en 2011, en France, on en est encore à ce stade-là ?

Cet homme qui me susurre à l’oreille dans le métro « Et tu fais l’amour ou tu baises ? » et ricane — et que tout le monde pense que ce n’est rien que de très normal. Ces persistants « Eh, tu prends combien ? » et cette habitude de s’entendre répondre « Tu es raciste, hein, c’est pour ça que tu réponds pas à un Noir » quand on décide d’ignorer les propos sexistes. Ce petit ami qui croit agir en vertu d’un « devoir conjugal » qui n’existe nulle part. De toute façon, femme, tu n’es là que pour ça, tais-toi et accepte ton sort.

Accepter ? Non, il n’est pas l’heure. Même si la fatigue pointe quand on croise la lassitude dans le regard de ceux devant qui on mentionne « féminisme ». Envie de tout balancer : il n’est pas l’heure d’accepter, pas même l’heure de se taire. Il est l’heure de rendre les coups. D’aller porter plainte pour chaque coup reçu, d’être reçue par un policier/gendarme qui dira, d’un air souriant : « On le retrouvera, ce bonhomme, il faudra qu’il rende des comptes pour tout ça ».

Ne pas accepter d’être traitée comme de la viande dans la rue uniquement parce qu’on a un vagin et des seins. Ne pas accepter qu’un homme se masturbe devant nous dans le métro et se dire « Il est dérangé, il souffre plus que moi ». Il a sans doute un problème, mais ce n’est pas mon rôle de femme de prendre sur moi jusqu’à ce qu’il le règle.

Ne pas accepter qu’un homme qui siffle sur notre passage nous « flatte ». Au contraire, en faisant ostensiblement remarquer qu’on est un bout de chair sur pattes, prêtes à l’emploi sexuel quand il en aura envie, il nous insulte. Non, un sifflement n’est pas anodin. Un « T’es bonne » est tout aussi grave : c’est le début.

Prenons les devants.

Je ne peux compter le nombre de fois où un autre homme m’a sauvée de l’embarras de ce que ces « mâles dominants » créaient en moi. Hélas, je peux compter le nombre de fois où des femmes ont été solidaires de ma peine. Je pense que la prochaine fois qu’on me répondra « Habitue-toi » ou « Il était sans doute malade », je hurle. Il faudra quand même que se faire insulter gratuitement juste parce qu’on est une femme cesse d’être normal.

Tous ces détours pour vous présenter ce site, Hollaback (France), qui veut lutter contre le harcèlement de rue. Témoignages, études et stratégies se côtoient. Je ne saurais souligner à quel point ce genre de démarches est essentielles. On n’est pas seules, toutes ensembles on peut vraiment parvenir à avancer !

Pour aller plus loin :
King Kong Théorie
de Virginie Despentes

Le site de la campagne d’Osez le féminisme, « Contre le viol : la honte doit changer de camp ! »
Illustration Flickr CC ChoufiPhone

Question de « priorités »

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Ces temps-ci, le climat est propice au second degré qu’il ne faut surtout pas mal interpréter, sur un sujet qui est tellement léger, au fond : les femmes. Déclinaisons multiples : on se rit de Tristane Banon et de Nafissatou Diallo (viol et agressions sexuelles), on se rit des demoiselles (nouvelle campagne d’Osez le féminisme), on se rit des femmes qui votent/ne votent pas (Arabie Saoudite), on se rit des gender studies. C’est tellement drôle, tout ça, on se marre tous les soirs en y pensant. Ces moments où la société me renvoie, très violemment, à ma « condition de femme », je n’ai qu’un seul réflexe : sortir les griffes.

On peut penser ce qu’on veut de l’affaire DSK, de Caroline de Haas ou du droit de vote des femmes en général. De toute façon, on en pensera ce qu’on veut. Il reste tout ce climat pourri qui règne en ce moment, ces blagues merdiques que tout le monde s’autorise, ces remarques un peu plus piquantes. J’ai découvert cette semaine qu’il fallait nécessairement une hiérarchie, soit dans les crimes soit dans les combats. Hommes, femmes : choisissez votre arme.

Fascinée par cette monomanie qui semble nécessaire, je me demande, en toute sincérité, ce que font ces bonnes personnes qui trouvent à redire sur chaque action féministe. Est-ce parce que la femme prend la parole sur la place publique que la contrariété naît ? Je ne pense pas ; on laisse bien Marine Le Pen s’exprimer sans la reprendre sur sa place de femme. Alors, c’est autre chose…

Ne serait-ce pas que, s’attaquant à plusieurs fronts d’un même coup, on risquerait de vraiment changer les choses ? Ne risque-t-on pas de changer les structures de notre société ? Là est le danger. Le monde bascule, l’Australie reconnaît sur son passeport le troisième genre avec l’identité « X ». Et la France demeure dans ses conforts : mademoiselle, c’est bien, c’est un si joli terme, pourquoi l’abolir, qui sont ces connasses qui veulent tout renverser ?

Dans le « tout renverser », entendons-nous : supprimer la case « Mademoiselle » dans les papiers administratifs, cela revient SIMPLEMENT à faire respecter la loi. Après, on en pense ce qu’on veut de la loi, mais c’est une autre histoire.

L’histoire du moment, en fait, c’est que tout le monde s’en fout de l’égalité hommes-femmes. Tout le monde s’en fout que des milliers de victimes de viols et agressions sexuelles portent plainte (quand elles osent le faire) et que ça tombe dans l’oubli. Tout le monde s’en fout qu’on tente, encore en 2011, encore en France, de pister le statut marital d’une femme mais pas d’un homme. Tout le monde s’en fout qu’il y ait trois femmes de moins au Sénat, puisque la gauche a gagné. Tout le monde s’en fout, non parce que ce n’est pas bankable mais parce que c’est devenu une blague. Il est devenu drôle de dire que pour faire taire une femme qui porte plainte pour viol, il faut la violer. Il est devenu drôle de dire « C’est pire en Arabie Saoudite, au moins ici tu peux conduire et aller voter ». Combat qui a perdu tout son sens, dont tout le monde se moque, au sens premier du terme.

Ce qui me rend particulièrement triste, à vrai dire, c’est la connerie de tous ceux qui pensent que le féminisme n’arrange que les femmes. Le féminisme, c’est une vision de la société, une vision globale de l’homme, de la femme et des autres. Le féminisme, cet idéalisme qui fait dire qu’hommes et femmes sont égaux, ça revient parfois, très simplement, à dire que l’homme n’est pas un monstre prêt à nous attaquer partout, que la femme n’est pas une victime perpétuelle. L’homme n’est pas voué à être violent ; l’homme doit être éduqué à ne pas violer. La femme n’est pas faible ; la femme doit être éduquée à se défendre en cas d’agression.

À titre personnel, à chaque fois qu’on m’appelle « mademoiselle » j’ai l’impression d’être inachevée, qu’il me faut vite me marier ou vieillir pour être enfin complète. Quand j’exige le « madame », je deviens pénible pour mon interlocuteur. J’aimerais simplement pouvoir avoir le choix. J’ai cru comprendre, en filigrane, qu’il n’était pas crédible pour une dite « vraie » féministe de s’intéresser à des sujets autres qu’avortement, excision et violences conjugales. Qu’est-ce qu’il doit être beau, ce monde binaire, dans lequel il semblerait qu’on évolue ! Apparemment, discuter linguistique est incompatible avec le fait de militer contre la fermeture de centres IVG, contre l’excision et contre les violences conjugales.

Apparemment il faut être monomaniaque ou se taire.

Monomaniaque : un seul combat à la fois. Dès qu’on s’attache aux structures de la société, quelqu’un de bien intentionné vient nous rappeler, à nous les « féministes » (tout d’un coup on n’est plus un corps citoyen, on est détaché-e-s de l’ensemble), qu’il y a « plus important » : les retraites, l’égalité salariale. Et les femmes qui se font cloîtrer partout dans le monde, tu y penses un peu !? Ce billet pour en venir à cela : chers amis, laissez-nous le droit de nous intéresser à plusieurs causes, en même temps. Laissez-nous le droit de parler.

Ces dernières semaines me donneraient presque envie de jeter l’éponge, de ne plus écrire sur des sujets féministes, de m’en tenir à tout le reste (c’est quoi, tout le reste ?). Je n’ai jamais souhaité l’entre-soi, sinon j’aurais simplement envoyé un mail à mes ami-e-s déjà convaincu-e-s par la cause, et point barre. Au contraire, j’ai toujours voulu trouver dans le dialogue une manière de comprendre celui qui ne partage pas mes opinions, et de me faire comprendre, et, ainsi, d’avancer ensemble. Je ne comprends pas tout ce climat, toute cette haine qu’on s’autorise à exprimer, tout à coup, hop, lâchez-vous, que le plus hargneux l’emporte.

Ces temps-ci, j’ai perdu mon humour, quelque part entre une des affaires DSK, « Mademoiselle » et la jubilation mesquine de tous les commentateurs. J’ai perdu mon humour de lire des pages de stupidités qui se voulaient intelligentes, mais qui n’étaient que vide et mise en abîme de ce vide. Qu’est-ce que j’aimerais offrir certains livres à certaines personnes. Comptez donc à venir sur une bibliographie conseillée d’ouvrages féministes et à portée de main. Je ne me tairai pas.

Photos (CC) : Suffrage Hay wagon (LOC) , Bain News Service, publisher.





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